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Photographies Luc Jennepin
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Composition musique Louis Sclavis
Publishing Jean-Marie Salhani éditions
Enregistrement et mixage Tomato Sound Factory

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Musique



fond

jeudi 25 février 2016

CHIBANIS, LES QUESTIONS

Questions que l’on n’osait se poser, le temps des illusions, peu conscients que nous sommes des drames liés à l’immigration qui s’accomplissaient dans le silence complice et l’indifférence. Les espoirs déçus, l’oubli, le piège qui se referme sur cette génération d’hommes et de femmes, aujourd’hui de vieux et de vieilles, qui pensaient, après une vie de labeur, mériter un sort meilleur et qui sont en panne sur le chemin du retour.

Questionner la perte de sens d’une vieillesse justement qualifiée d’illégitime et vécue par les migrants âgés comme une honte, notamment de « se laisser aller à rester » en terre d’immigration, de se faire tout petit et de tenter de se faire oublier. La même honte que l’hôte qui se sent devenir encombrant.

Questionner les responsabilités : que représentent ces hommes pour leur pays et les leurs ? Des immigrés qui n’ont pas vocation à vieillir, mais toujours des convertisseurs d’euros,  des « papas mandats », des pères Noël chargés de cadeaux à chaque retour.

Questionner ce silence assourdissant, comme s’il s’agissait d’un secret de famille, qui tait une vie précaire, faite de privations et de renoncement, le sentiment de ne plus compter ou si peu qu’on finit par ne plus avoir de consistance, comme « dématérialisé ».

Questionner l’écartèlement entre ici et là-bas : la place probablement perdue là-bas, la place pas encore acquise ici. C’est dans l’avion, dans les couloirs aériens que leur vieillesse s’accomplit.

Questionner la maltraitance des administrations qui s’acharnent à débusquer les « fraudeurs » qui se seraient rendus coupables de se séjourner au milieu de leurs familles pour retrouver un peu de réconfort auprès de leurs enfants et petits enfants.

Questionner ces contrôles intempestifs qui prennent la tournure de « ratonade administrative » et qui ciblent particulièrement ces hommes isolés, sans défense.

Questionner les dépouilles de ces vieux migrants décédés seuls, découverts à l’odeur et rapatriées par fret aérien comme une vulgaire marchandise.

Des questions et encore des questions…

Il est grand temps de faire les comptes, comme dans un exercice comptable, afin d’évaluer les pertes réelles et symboliques, le délitement du lien social, voire, dans bien des situations, la rupture consommée avec la famille et le pays.

Il est grand temps de reconnaître l’apport de ces hommes et de ces femmes qui ont tant donné au pays qui les a accueillis et qui se sont épuisés à la tâche, de prouver cette reconnaissance par une belle ambition : les faire entrer en dignité.
 

Texte MONCEF LABIDI, directeur de l’association Ayyem Zamen*
Café Social Belleville et Café Social Dejean à Paris

*Ayyem Zamen : Le bon vieux temps